Le son et la musique vont bien au-delà d’une simple touche réaliste plaquée sur l’image en mouvement. Ils bâtissent l’architecture émotionnelle d’un film. Remplacez une piste sonore, la comédie vire au tragique. Un bourdonnement subtil, une mélodie discrète, et voilà que les minutes s’étirent en heures — ou que des jours entiers se condensent en secondes.
C’est l’arme mentale ultime de mon arsenal, capable de manipuler à volonté votre perception du récit. Les critiques et le public saluent mon «choix des pistes» ou les «ambiances originales», sans deviner qu’ils écoutent des compositions de sons et de musiques qui n’existaient pas à l’enregistrement initial.
Pourtant, ils ne supportent ni craquements, ni clics, ni niveaux sonores flottants, ni dialogues inaudibles (oui, Tenet, c’est de toi que je parle…). Un paradoxe : demandez à quelqu’un hors métier de comparer les gammas ou les espaces colorimétriques — tout lui semblera acceptablement identique. Au-delà de la manipulation, je maintiens donc les niveaux à -6 dB, normes BBC oblige, peaufinant méticuleusement chaque courbe sans limiteur ni compresseur automatique.
Chez moi, le design sonore dépasse l’audible — il touche au ressenti, à ce que le spectateur ne parvient pas à identifier consciemment. C’est un métier d’une complexité redoutable, où s’entrelacent des strates de sons méticuleusement enregistrées, construites pour façonner des réalités émotionnelles. Chaque son dans mes films est voulu : la nostalgie réverbérée des annonces du métro, le grincement des portes récalcitrantes des ascenseurs soviétiques, le sifflement étrange des pompes hydrauliques d’un Airbus ou le sillage sonore aigu d’un TGV. Et pourtant, tout semble évident — prolongement naturel d’un monde qui habite et vibre.
La musique s’est immiscée très tôt dans ma vie, par des détours singuliers. D’abord, bercé en Suisse romande par des radios jouant une pop américaine peu helvétique. Puis immergé dans l’univers classique disséqué par une école soviétique de musique venue s’ajouter à mon cursus classique, suite au déménagement parental à Moscou. En URSS, des «chasseurs de talents» sillonnaient les classes à la recherche de perles rares. Malchance : j’en avais beaucoup, dont une oreille musicale proche de l’absolu et un sens rythmique sans faille. Mes parents cédèrent aux injonctions du Parti visant l’excellence des futurs cadres. Je m’exécutai sans enthousiasme. Vingt ans plus tard, je reconnais à cette formation une rigueur exceptionnelle pour l’époque : théorie musicale, composition, histoire, notation, techniques instrumentales — tout y était. Quelqu’un m’a surnommé «mathématicien visuel». La musique m’a ouvert ses mathématiques, réconciliant l’audible et le visible.
De cette époque, j’ai conservé une technique pianistique fonctionnelle (celle d’un arrangeur, non d’un interprète), puis migré vers ma passion des années 2000 : les cordes. Du violoncelle à la guitare, jusqu’à la contrebasse. Ainsi, musique et son sont bien plus que de simples outils cinématographiques. Une guitare acoustique dort près de mon oreiller pour les pauses nécessaires, tandis qu’une électrique reste à portée de main sur mon bureau de montage. J’aime modifier mes guitares, accorder (et casser) les cordes en poussant les accordages vers l’absurde, alternant fingerpicking classique ou alternatif (Mark Knopfler, héros du pouce) et une myriade de médiators disséminés sur ma table pour incorporer des barrés dans mes créations. Bien sûr, un clavier complet est toujours là, désormais numérique et polyvalent — même s’il n’est plus aussi rassurant que le piano massif de l’appartement moscovite. Et oui, je chante toujours — bien que ma voix ait descendu de plusieurs octaves depuis mes solos dans le chœur soviétique.
J’écris mes propres paroles, principalement en russe, mêlant rythme, émotion et poésie sonore. La même précision, la même intuition que dans mes montages et designs sonores traversent mes mots et mes mélodies, reliant toutes mes disciplines créatives en un même fil.
La musique reste centrale dans mes films. Beaucoup demeurent d’irréductibles «techno musicals», dialogues minimaux, émotions maximales, conçus pour franchir les barrières linguistiques (et mieux vendre).
Pour mon premier long-métrage, Kvadrat, nous avons numérisé 302 vinyles sur une collection de 5 000, devenus 48 heures de pistes soigneusement sélectionnées et mixées sur Ableton Live. Musique et son y étaient si imbriqués que les processus traditionnels ne suffisaient plus — il m’a fallu inventer ma propre approche (bien que Pro Tools et Logic me soient familiers). À ce jour, personne — critiques ni compositeurs originaux — n’a repéré comment j’ai réarrangé et manipulé ces pièces pour dilater ou condenser le temps.
Le son commence sur place. Murmures dans un entrepôt géant ? Turbines de jet montant en régime ? Chaos d’une boîte de nuit (sans exploser le système Dolby) ? Je m’adapte avec la précision d’un ingénieur. Choix et placement du micro : méthodique tâtonnement. Réparation spectrale : science exacte. Je maîtrise les deux, évitant raccourcis et filtres génériques au profit d’ajustements en temps réel et d’une post-prod millimétrée.
Je ne fais pas de montage image final. Ni de verrouillage son. Musique et images évoluent ensemble, se nourrissant mutuellement jusqu’à la livraison finale — Final Cut Pro X aide, avec sa timeline magnétique, dans ce va-et-vient fluide.
Pour moi, le design sonore se vénère autant que l’image. Né à Genève, mon obsession suisse du détail n’est pas un trouble du DSM. La texture des ADR, la présence du bruitage, le silence estompé du compresseur d’un frigo — tout s’équilibre dans un mix multitrack riche.
Je calibre méticuleusement mes studios — heureusement, les Genelec sont devenus excellents. Sans négliger pour autant les tests d’écoute sur casques haut de gamme comme sur écouteurs basiques. L’accessibilité, oui, mais pas au prix de l’intention artistique.
Et cela ne s’arrête jamais. Ma bibliothèque iTunes cumule 142 jours de lectures continues — autant de vecteurs narratifs potentiels.
Écoutez par vous-même. Écoutez. Curieux ? Contactez-moi, créons ensemble.
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