00:00:04 Anatoly IVANOV: En fait, nous avions les autorisations de tournage et tout le reste, mais ces attributs de film d’horreur sont présents. Fait intéressant, à Moscou, la pression était bien plus forte qu’à Saint-Pétersbourg. À Saint-Pétersbourg, tout est cool Raoul et relax pépère. Mais à Moscou: «Bon, vos autors?» En plus, ils sortaient de nulle part.
00:00:23 Andrey PUSHKAREV: Non, ils sortaient d’une part. Ils sortaient de leur cabine. Ils se jetaient sur moi tout le temps, parce que…
00:00:30 Anatoly IVANOV: Parce qu’il est dodu!
00:00:31 Andrey PUSHKAREV: C’était comme: je sortais le premier de la voiture, et Anatoly sortait après avec son énorme appareil, et eux ils étaient «shhh!» Et je gérais toutes nos défenses.
00:00:40 Anatoly IVANOV: Oui. Et moi je le rattrapais, «Nous les avons!» Là, là! Kremlin Kremlin Kremlin! Et eux: «Ahh, OK, c’est bon.»
00:00:47 Yulia SHAGELMAN: OK, donc on a compris, le genre de ce film, en réalité, n’est pas du tout documentaire, c’est un épique militaire avec des éléments de…
00:00:54 Andrey PUSHKAREV: Qui se passe dans l’univers post-soviétique.
00:00:56 Yulia SHAGELMAN: Oui, le contexte post-soviétique.
00:00:58 Anatoly IVANOV: Quand j’analysais les différents genres du cinéma documentaire, fiction… Ce qui m’a intéressé, c’est la possibilité du cinéma de créer une expérience à l’intérieur des têtes de tous ceux présents ici, à distance. Et l’arsenal de ces outils, est plus large dans le cinéma de fiction, comparé à un documentaire typique, où il y a une voix off, une interview, des photos d’archives, vidéo, etc. Dans les films de fiction, par la manipulation, parce que, essentiellement, un film, c’est moi qui vous manipule! Constamment. Autrement dit, tout ce que vous venez de voir, ce n’est pas par hasard. C’est fait avec une précision millimétrique, afin de susciter chez vous des émotions spécifiques. Émotions de rejet, émotions de «Putain! Ça finit quand ce truc?!» Très boring, bruyant, monotone ou, inversement, amusant.
00:02:02 Yulia SHAGELMAN: Peut-être, des émotions d’immersion? Au contraire: je ne veux pas que ça s’arrête?
00:02:07 Andrey PUSHKAREV: Il y avaient aussi des émotions comme ça, oui.
00:02:08 Anatoly IVANOV: Oui. Mais tout ça c’est…
00:02:10 Yulia SHAGELMAN: «The show must go on.»
00:02:12 Anatoly IVANOV: …c’est fabriqué, c’est-à-dire, fait exprès. Et, bien sûr, nous avons tourné certaines scènes de façon absolument documentaire. En particulier, les atterrissages des avions, que nous ne pouvions pas, genre, «Non, j’ai pas aimé un truc, allez, deuxième prise, les 300 passagers, ils… Qu’est-ce qu’ils ont? Un changement? Un transfert? Les gars, désolé, mais nous redécollons. Un A321 de Swiss Airlines repart aussitôt. Donc ce sont des séquences purement documentaires, ces ailes d’avion sans fin, OK, c’est du cinéma documentaire. Mais le métro, plus les clubs, et… je sais pas, les scènes à la maison et ainsi de suite… ce sont des prises multiples, des techniques typiques du cinéma de fiction, qui créent une illusion d’authenticité absolue.
00:03:01 Andrey PUSHKAREV: N’oublies pas les clubs, là, rien n’était…
00:03:04 Anatoly IVANOV: Oui, là aussi! Rien n’y a été tourné en 1 prise. Donc, de nombreuses prises, que j’ai dû entrecouper au montage. Et un aspect très important, j’ai usé des techniques des films de fiction pour le sound design. Autrement dit, juste poser la prise son du club… C’est impossible! Il joue… son DJ set, c’est 6 heures. Oui, ça donne au moins 2 heures.
00:03:32 Andrey PUSHKAREV: 2, voire 3!
00:03:34 Anatoly IVANOV: Combien de clubs y avaient-il? Quelqu’un a compté?
00:03:37 Le public: Beaucoup…
00:03:38 Anatoly IVANOV: Beaucoup! Exactement, oui! Et si on multiplie «beaucoup» par au moins 2 heures, vous seriez encore là à regarder tout jusqu’au matin. Alors, comment créer une illusion dans votre cerveau, que, oh, on regarde un mix en boîte, 3 morceaux qui jouent, mixés comme ci et comme ça. Alors qu’en réalité, seulement 3 minutes se sont écoulées. Autrement dit, un track techno c’est mini…
00:04:01 Andrey PUSHKAREV: 6-7 minutes, voire plus.
00:04:03 Anatoly IVANOV: …si c’est un track par côté, alors 10-20. Comment le rendre musicalement, sans tuer la phrase musicale? C’est-à-dire, un «la-la-la», au lieu de «la», puis soudainement un «i»! Autrement dit, pour éviter du charabia total. On s’est vraiment bien pris la tête avec ça, et ce n’est pas une approche documentaire.
00:04:24 Yulia SHAGELMAN: Eh bien, en fait, c’est là que je veux en venir. Sachant que oui, ce n’est pas un documentaire, je voulais poser une question bête, hein? À quel point est-ce vrai, en fait? Autrement dit, à quel point cela représente vraiment ta vie? Ou peut-être, de maintenant, ou passée, ou en général? Je veux dire, à quel point est-ce la vérité? Ou est-ce, après tout, un rôle que t’a joué?
00:04:48 Andrey PUSHKAREV: Mmm… je ne peux pas appeler ça un rôle, parce que je n’ai pas joué, en fait. Comme certains l’ont dit:
00:04:54 Anatoly IVANOV: C’est un acteur, oui, pas très…
00:04:55 Andrey PUSHKAREV: Un très mauvais acteur! Donc…
00:04:57 Yulia SHAGELMAN: Mais à mon avis, tout est réussi. Au moins, le héros semble très authentique…
00:05:01 Andrey PUSHKAREV: Merci au réalisateur!
00:05:04 Yulia SHAGELMAN: Un bon acteur c’est toujours grâce au réalisateur. Et un mauvais aussi.
00:05:08 Anatoly IVANOV: Merci! Mais nous avons juste…
00:05:11 Andrey PUSHKAREV: La question était pour moi!
00:05:13 Anatoly IVANOV: Oh pardon! Vas y, bien sûr.
00:05:16 Andrey PUSHKAREV: En réalité, tout est toujours comme ça. Aujourd’hui, je suis arrivé de Sotchi à 9 heures du matin. Après avoir dormi quelques heures, je suis venu ici.
00:05:23 Yulia SHAGELMAN: Donc, la vie de DJ, la voici, oui?
00:05:26 Andrey PUSHKAREV: Oui.
00:05:26 Yulia SHAGELMAN: Dormir dans des avions, des aéroports, l’appartement vide, avec…
00:05:31 Andrey PUSHKAREV: Parfois oui. L’appart vide.
00:05:32 Anatoly IVANOV: Bah, on vient de, chez Mukhina… Où est Mukhina? Nous venons de déménager les vinyles qui étaient… Et nous y avons posé le même matelas. Je veux dire, aujourd’hui, nous sommes le 6 avril, ça a l’air identique! OK, il y a une planche à repasser que j’ai ajoutée aujourd’hui, pour repasser ma chemise. Mais tout le reste? Je veux dire, nous entrons dans la pièce et: putain, c’est le film Kvadrat! C’était il y a combien de temps? 6 plus tard?
00:05:56 Andrey PUSHKAREV: Bah, ça fait plus de 6 ans, en tout cas. Je veux juste dire que… dans cette situation, ce… c’est la réalité, en fait. Ce que j’imaginais pour ce projet: c’est de montrer l’envers du métier. Et la plupart des collègues, même, quand Anatoly montrait le film à quelqu’un, ont été choqués précisément par à quel point ça avait l’air réel, ça fait peur, car c’est vraiment comme ça en réalité. Et pour moi perso, c’était le feedback le plus important. Parce que quand mes collègues le reconnaissent, alors ça signifie que nous n’avons pas menti, au minimum.
00:06:26 Yulia SHAGELMAN: Autrement dit, c’est un film qui avertit, les enfants, ne devenez pas DJs, en réalité! Il n’y aura pas de sexe, drogue et rock-n-roll, mais…
00:06:32 Andrey PUSHKAREV: Non, il y en aura, seulement…
00:06:34 Yulia SHAGELMAN: Ah! J’ai hâte d’en savoir plus…
00:06:35 Andrey PUSHKAREV: Calmez-vous! Chacun se lance dans ce métier, pour ses propres raisons, qu’il le comprenne ou pas… C’est tout!
00:06:43 Yulia SHAGELMAN: Mais c’est exactement là où j’en viens, oui? Chacun cherche ses propres raisons dans le DJing. Parce que, tout au long de ce film, encore une fois, je sais pas si nos spectateurs, mais moi j’avais une question principale: pourquoi fait-il cela?
00:06:58 Andrey PUSHKAREV: Pourquoi quoi, exactement?
00:07:00 Yulia SHAGELMAN: À quoi sert cette vie? Pourquoi cette vie de voyage constant? Quel est l’intérêt de ces levers-couchers de soleil sans fin je ne sais où? Ces étranges villages roumains? Où Dracula pourrait surgir d’un coin de rue? Pourquoi? Parce que tout le monde se lance dans cette profession pour quelque chose qui lui est propre? Pourquoi toi t’y es venu?
00:07:26 Andrey PUSHKAREV: Je l’ai dit dans plusieurs interviews, j’ai essayé d’arrêter. [rire de toute la salle] Mais vraiment! C’est vrai! C’est arrivé, au moins 3 fois, quand la vie, au sens figuré, s’est effondrée d’une manière que j’étais prêt à… ça y est, voilà, j’abandonne! Mais j’ai échoué. Et maintenant, il est trop tard pour arrêter.
00:07:44 Yulia SHAGELMAN: Donc, tu «go with the flow». La question est: qu’est-ce que c’est? Est-ce de l’expression de soi, actualisation de soi? Est-ce pour… pour quoi? Pour se sentir aimé? Pour jouer pour ces Roumains? Ou peu importe qui d’autre, à Sotchi, etc. Ou pour s’exprimer à travers ce métier? Je veux dire, pour quelqu’un comme moi qui est assise derrière un bureau et écrit quelque chose, puis se lève et rentre chez soi, je suis curieuse, pour quoi faire, vraiment? C’est clair pourquoi tu n’as pas arrêté. Pourquoi as-tu commencé?
00:08:21 Andrey PUSHKAREV: Soit dit en passant, voici la personne qui, en fait, a joué un rôle clé dans ma, appelons cela: «carrière». Voici Natalya KOZLOVA. Cette personne en 1996 m’a montré ce qu’est la musique électronique. Et à partir de ce moment, bah, ma vie a, un peu changé. Et après j’ai tellement aimé que, finalement, pourquoi pas? Et comme le dit très souvent Anatoly: «au cas où».
00:08:47 Anatoly IVANOV: Oui! Au cas où! Ce n’est pas non plus ma citation, c’est une citation d’une artiste-peintre en France, [Christine AUGER], à qui on demande tout le temps: «Pourquoi êtes-vous artiste?» Autrement dit, aussi beaucoup de privations et… Moi-même, en tant que réalisateur… en fait le film, parle, en partie, de moi. Parce que pendant qu’il dormait ou mangeait, d’ailleurs, mes sandwichs. Parce que… Pourquoi a-t-il toujours 2 sandwichs? Parce que c’est mon sandwich, que je n’ai jamais mangé.
00:09:16 Yulia SHAGELMAN: Enfin, le mystère est découvert!
00:09:18 Anatoly IVANOV: Oui!
00:09:19 Yulia SHAGELMAN: C’était ma prochaine question.
00:09:21 Anatoly IVANOV: On ne lui donnait pas les 2 sandwichs parce qu’il est un «frequent flyer» ou quelque chose, qu’il a une carte bonus. Non, je…
00:09:26 Andrey PUSHKAREV: À l’époque, je n’avais pas de cartes bonus, ce n’est que maintenant qu’elles…
00:09:29 Anatoly IVANOV: OK, bref… C’est aussi ma vie! Autrement dit, je renonce à beaucoup ainsi que, franchement, chaque professionnel, qui bosse, chaque créa peut raconter, que nous devons faire des choix constants: OK, dormir ou partir quelque part. Le fait que, je suis arrivé à Moscou, par exemple? J’aurais pu rester à Paris. Il y fait +25 C, les pommiers fleurissent…
00:10:00 Andrey PUSHKAREV: Ne part pas en hors sujet!
00:10:01 Anatoly IVANOV: …etc. Mais c’est un film sur ces choix continus, voyages d’affaires, etc. Il est universel pour tout professionnel de la création.
00:10:10 Andrey PUSHKAREV: J’ajouterais, en fait. Tout d’abord, je me sens aussi à l’aise maintenant, comme vous vous sentez derrière votre bureau, probablement? Que cela vous plaise ou non, mais vous vous sentez sûrement au bon endroit, professionnellement, non?
00:10:23 Yulia SHAGELMAN: Hé bien oui.
00:10:24 Andrey PUSHKAREV: Et cette réalisation de… c’est venu aussi avec les années, que je suis au bon endroit. Et, comme on dit, je ne veux plus trahir moi-même. Et tout le reste, ce que vous énumérez: les trajets, les vols, c’est… la réalité avec laquelle il faut, comme on dit… Ne pas faire la paix, mais l’accepter. Parce que la plupart dans l’industrie maintenant, on peut dire, même Madonna, Depeche Mode, tous ces grands noms, ils gagnent leur vie qu’avec les tournées.
00:10:50 Yulia SHAGELMAN: Bah, ça c’est clair…
00:10:51 Andrey PUSHKAREV: Oui! Parce qu’Internet a tué tout, complètement, et donc, les représentations en public dans ce cas c’est la seule source de revenus. Par conséquent, il faut rechercher des méthodes… je sais pas, Faire du yoga, faire du sport, faire attention à son alimentation. Tout ce qu’on veut, pour optimiser ce processus. Et après de nombreuses années, on y vient, tôt ou tard. Jusqu’à présent, j’ai réussi. Combien de temps vais-je durer – je ne sais pas.
00:11:17 Yulia SHAGELMAN: Quelle est l’importance des réactions de la foule? Parce que, euh, nous avons vu ce «beaucoup» de clubs, quel que soit le nombre de ces clubs, en somme, on voit, que ce n’est pas le succès partout, oui? Ou bien, je ne sais pas à quel point ce terme est approprié dans le cadre du travail de DJ? Mais, y’a des boîtes où les gens réagissent à cette musique, et ailleurs, nous avons l’impression, qu’ils s’en foutent de qui est derrière les platines et quel genre de musique il joue, ce n’est pas pour ça qu’ils sont venus ici. C’est peut-être aussi une mauvaise impression, mais en quelque sorte, c’est celle qu’on a. À quel point est-ce important, que le public réagisse ou non? À quel point, je sais pas, est-ce que ça aide, excite? Ou est-ce juste une sorte d’état intérieur, quand une personne crée et qu’elle y est immergée. Et tout le reste c’est, je sais pas, juste un bonus, important ou sans importance?
00:12:08 Andrey PUSHKAREV: Je peux dire une chose: que je crois et… sur quoi mon expérience est basée, c’est la sincérité. Autrement dit, lorsque t’arrive dans un pays où tu n’a jamais joué, tu sais pas, comment ça va se passer là, non? Tu ne peux pas deviner. Et alors, à quel point t’es sincère… comment pourrais-je dire, tu te donne, les gens le ressentent en tous les cas. Et ça marche vraiment. Et tout le reste – c’est, à mon avis, déjà… du professionnalisme ou du non-professionnalisme. C’est, pour ainsi dire, l’élément clé de la profession, appelons-le ainsi, quand tu peux, appelons-le, avec des vinyles, dans ce cas, des tracks, les outils de travail, que t’as choisis, mais tu peux faire danser les gens que tu ne connais pas? Eh bien, pour moi, c’est le plus haut niveau. Il y a des DJ qui peuvent le faire. Il y a ceux qui ne le peuvent pas. Il y a ceux qui ne jouent que des hits, au sens figuré, des hits qui cartonnent. Mais… Le sens, le truc principal à comprendre, c’est que nous, je veux dire, moi-même et mes collègues, nous travaillons pour les gens. Autrement dit, maintenant le battage médiatique a augmenté, car on met une tonne de conneries sur le dos des DJs. Comme, la star système, tout ça… Un tas d’images, de fantasmes, mais le seul résultat qui importe c’est: tu peux le faire ou tu ne peux pas. Tu fais danser les gens, ou tu ne fais pas danser les gens. Tout le reste s’estompe sur ce fond, parce qu’on peut créer n’importe quel personnage de scène. Donc voilà, c’est comme ça, il me semble.
00:13:31 Yulia SHAGELMAN: Donc, au final, la musique, c’est ce qu’il y’a de plus important?!
00:13:34 Andrey PUSHKAREV: Bien-sûr! Sans aucun doute! S’il n’y avait pas de musique, il n’y aurait rien.
00:13:37 Anatoly IVANOV: Et dans le film, en vérité, le personnage principal n’est pas Pushkarev, le personnage principal – c’est la musique.
00:13:43 Andrey PUSHKAREV: Vrai!
00:13:44 Anatoly IVANOV: La musique joue… Hein?
00:13:45 Public: Le sac!
00:13:46 Anatoly IVANOV: Oh, le sac – oui! Lequel, soit dit en passant… le sac, il est carré, pour ajouter à ta question, elle est aussi dans un carré!
00:13:53 Yulia SHAGELMAN: Il y en a 2, il y a 2 sacs!
00:13:55 Anatoly IVANOV: Ouais et… Le sac transporte de la musique! Et, en réalité, la musique, c’est un… un poids, qui physiquement et psychologiquement, constamment, tire vers le bas, puis vers le haut. Autrement dit, il est présent dans la vie de l’homme, du DJ, et non pas quelque chose d’abstrait.
00:14:17 Yulia SHAGELMAN: Et comment cette idée t’est venue – de tourner un film sur un DJ? Pourquoi un DJ?
00:14:24 Anatoly IVANOV: «Comment cette idée est apparue?» J’ai eu l’idée de faire un long métrage! Premièrement. Parce que j’avais tourné un court métrage, complètement par accident. Et vraiment, j’ai été forcé de le faire. Des chinois. Des gars pas tendres. Et puis j’ai décidé de tourner un long métrage, pour déterminer, à quel point j’aime ça. Et quand j’ai commencé à me renseigner sur comment fonctionne le cinéma, je ne savais rien! Je ne connaissais même pas l’existence de montage… La première chose…
00:14:56 Yulia SHAGELMAN: Tu faisais des expériences sur Andrey?!
00:14:58 Anatoly IVANOV: Absolument!
00:14:59 Andrey PUSHKAREV: Il en fait toujours des tests sur moi.
00:15:01 Anatoly IVANOV: Oui! C’est ma spécialité!
00:15:02 Yulia SHAGELMAN: Vous aurez une suite?
00:15:04 Andrey PUSHKAREV: Beaucoup posent des questions sur la partie 2, mais je pense, qu’il est peu probable que cela se fasse correctement.
00:15:09 Anatoly IVANOV: La question qui se posait alors était celle du financement. Autrement dit, la seule chose qui distingue le cinéma de tous les autres arts, c’est la quantité d’argent requise pour créer quoique ce soit. Autrement dit, si t’es photographe, ou sculpteur, ou peintre, ou, voilà, t’écris… toutes sortes d’œuvres littéraires, t’as pas besoin de beaucoup d’argent. Mais quand tu filme…
00:15:33 Yulia SHAGELMAN: Euuuhhh…
00:15:35 Anatoly IVANOV: Mais tu peux t’acheter un ordi et commencer à écrire, mais tu peux pas t’acheter une caméra et commencer à filmer. Il te faut de toute façon payer les gens, avec qui tu travaille. Et quand je choisissais le sujet ou même le genre… J’ai simplement choisi le cinéma documentaire, comme étant le moins cher. Parce que je n’avais pas à payer les acteurs. Il n’était pas nécessaire de payer le makeup. Je n’ai pas eu à payer leurs repas et ainsi de suite. Essentiellement, le cinéma documentaire est moins cher à produire.
00:16:11 Yulia SHAGELMAN: Bah, ça, c’est clair, oui, mais pourquoi…
00:16:13 Anatoly IVANOV: Ça c’est d’un! Et deuxièmement – Je travaille, comme, finalement, la plupart des bons réalisateurs, avec la matière qui leur est familière. J’ai commencé à écouter la musique techno quand j’avais, combien? 14 ans. C’est-à-dire, en 1994-1995, quand il y avait Ptyuch, Aérodance, club LESS et les autres. C’est à peu près en même temps que Pushkarev. Et simplement, je connais très bien cet univers, ce sujet, cette industrie. Quand j’avais commencé à me renseigner: OK, qui a tourné quoi à propos de la techno, sur les DJs? À mon horreur, j’ai remarqué 2 types de films. Le premier – des films à la «Berlin Calling», avec sex, drugs & techno, tout est très glamourisé et… des situations complètement malades, anormales, pas standards, que vous rencontrez rarement dans la réalité. Et le deuxième type – c’est les docs Deutsche Telekom Slices et similaires, avec des interviews à propos du DJ qui dit: «JE SUIS TELLEMENT COOL! Regardez, oh oh oh!» Et c’est du narcissisme constant, mais… à propos de la profession, tel que ça se passe en vrai, y’avait rien. Moi, en tant qu’ancien journaliste, oui-oui, j’ai vu qu’il existe un trou dans l’information. Et ce trou doit être comblé, je dois raconter l’histoire.
00:17:45 Andrey PUSHKAREV: Ouais, à l’époque c’était comme ça, maintenant, bien sûr…
00:17:48 Anatoly IVANOV: Tout le monde s’est mis à copier notre film! Naturellement!
00:17:52 Public: Et en quelle année l’avez-vous tourné?
00:17:53 Anatoly IVANOV: 2011. À l’époque… Et maintenant, il y a un tas de films qui ont aussi un sac qui roule, ce son…
00:18:01 Andrey PUSHKAREV: Pas le sac spécialement, mais on commence à poser cette question: dans quelle mesure cette profession est-elle dangereuse ou non?Parce que le DJing existe depuis combien de temps? Peut-être, 20-30 ans au total? Et en fait, personne n’a fait aucunes recherches. En ce sens que, à quel point l’état psycho-émotionnel d’une personne change au cours de cette période. Personne n’a étudié cette question en profondeur. Il existe des contre-exemples, négatifs, quand les gens n’arrivait pas à faire face. Par exemple, comme Avicii, qui, je pense, avait 25 ans. Et voilà, il est mort l’année dernière, je pense. Le gars s’est tout simplement brûlé au travail. Au sens propre! Mais, j’avais immédiatement une question en tête: les parents, tous les proches, les amis, par où regardaient-ils?
00:18:44 Yulia SHAGELMAN: Mais, par exemple, dans ce, dans ton film, dans votre film, nous ne voyons pas non plus les proches et les amis, non? C’est plutôt une «voile blanche et solitaire»!
00:18:54 Andrey PUSHKAREV: Mais mon ami était le réalisateur à ce moment-là, n’oubliez pas!
00:18:57 Yulia SHAGELMAN: Oui, et il veillais à te nourrir de sandwichs!
00:18:58 Andrey PUSHKAREV: J’étais surveillé.
00:19:00 Anatoly IVANOV: Oui oui oui! Nous, au fait, il vient juste de mentionner un peu le yoga… Qui a commencé à lui enseigner le yoga?
00:19:09 Yulia SHAGELMAN: C’est-à-dire, relativement…
00:19:10 Anatoly IVANOV: Parce que j’ai vu un homme qui ne fait rien, vraiment, pour son corps frêle. Par conséquent, je lui dis: écoute, commençons à courir ensemble, faisons du hatha yoga le matin. Et c’est obligatoire avant de tourner nous faisions du hatha yoga ensemble. Il souffrait, gémissait, transpirait, etc. Mais maintenant, il a au moins cette habitude. Et j’en suis content rien que pour ça!
00:19:37 Andrey PUSHKAREV: Contrôle.
00:19:38 Yulia SHAGELMAN: Bah oui, oui…
00:19:39 Anatoly IVANOV: En soit, c’est un truc de réalisateur: contrôler tous les processus en permanence. Eh! Pourquoi tu t’es pas brossée les dents? Etc. Eh bien… oui. C’est une déformation professionnelle.
00:19:52 Yulia SHAGELMAN: Est-ce que je vous dérange? Je me sens déjà comme une personne en trop!
00:19:57 Andrey PUSHKAREV: Non, non, non, revenons à vous.
00:19:59 Yulia SHAGELMAN: Revenons à… Non, pas à moi, en aucun cas…
00:20:01 Andrey PUSHKAREV: À vos questions.
00:20:02 Yulia SHAGELMAN: Détonateur, oui? Revenons à ce point, de la façon dont l’industrie a changé et ainsi de suite, c’est peut-être… ce sont des choses que je ne peux pas saisir en raison de ma mauvaise familiarité avec? Il me semblait que le film, dans l’ensemble, avait très peu de concret. Il ne parle pas de l’industrie techno ici et maintenant, en 2011 ou à un autre moment. Mais d’une personne, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de zeitgeist. Cela doit… cela peut avoir lieu à n’importe quel autre moment. En effet, il me semble… encore une fois, je sais pas si vous êtes d’accord… quand on le regarde maintenant, en 2019, on n’a pas l’impression que ce film a 8 ans. Que c’est une vieillerie, ou un drame rétro! Voilà. Par conséquent, est-ce un choix volontaire?
00:20:53 Anatoly IVANOV: Absolument volontaire. Quand j’ai commencé à étudier le cinéma, la première chose qu’on lit, c’est les archétypes. La création de quelque chose d’universel. Et pour moi, il était important de créer un archétype de DJ. Autrement dit, Andrey Pushkarev vient de parler de ses collègues, il y a un instant qui, en somme, jouent une musique légèrement différente, qui vivent dans d’autres villes qui ont une autre histoire de vie, mais ils rentrent quand même dans cet archétype, et pour eux ça marche, parce que c’est quelque chose de plus grand que cet homme particulier à un moment du temps précis. En principe, tout film intéressant, à mon avis, c’est plus abstrait, plus archétypal qu’un quelconque zeitgeist, un moment dans le temps.
00:21:50 Yulia SHAGELMAN: Eh bien, ici, en vérité, ce n’est même pas l’archétype d’un DJ, c’est un archétype d’une personne qui crée, peu importe si ça sonne cliché. C’est-à-dire l’archétype d’une personne engagée… dans quelque chose d’éphémère. Quelque chose intitulé par ce mot stupide «créativité», et quelque chose qui exige de toi toutes tes forces vitales, concentrés en un seul point. Si tel était le plan de départ, il a certainement réussi. Et, il me semble, en ce sens, le film est un succès.
00:22:23 Anatoly IVANOV: Merci!
/ RU Moscou / 2019-04-06
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