ANATOLY IVANOV / MOI / INTERVIEWS ET CRITIQUE / CRITIQUE FRÉDÉRIC BOUGLÉ : DES LUMIÈRES SOUS LA PEAU VRAISEMBLABLE

La photographie, somme toute, est une image banale du vraisemblable, mais une banalité qui recouvre toujours des mystères. Que faire de ces «sibylles» quand la réalité ne cesse de fuir, de glisser sur de l’insaisissable. Dans la philosophie orientale, comme pour Walter BENJAMIN, la réalité est une illusion tronquée, une apparence que l’on tente de toucher, un éphémère de lumière. C’est là précisément, dans cette lumière évanescente, dans cette essence blanche, qu’Anatoly IVANOV puise les registres fluorescents qui vont nourrir sa boîte noire.

Ces spasmes lumineux, ces rouages réfractés s’injectent dans son appareil plus qu’ils ne se captent. Le résultat, il faut le constater, est bien étrange, écriture indécodable gravée dans un cadre mental éprouvant, presque angoissant.

D’autres photographies seront plus sereines comme si les lumières de la ville venaient quitter leur réalité froissée, pour se tendre ou s’épuiser sur le lisse repassé du film photographique. Ses images de la réalité ont perdu toute lecture conventionnelle, toute identité reconnaissable, toute banalité insupportable, toute interprétation rationnelle: elles seront le reflet dans le reflet d’une réalité réfléchissante. Ces miasmes de lumières irritantes s’agitent sous la peau échauffée de l’image, comme si cette dernière avait du mal à les retenir, à se retenir.

Parfois Anatoly IVANOV se risque à faire des portraits, comme l’image de cette jeune fille prise dans un couloir. La lumière d’un néon verdâtre déteint sur son visage, le modèle se fixe avec malaise devant l’appareil quand la perspective s’enfuit. Tous les portraits de personnages pris par l’artiste «mordent en travers» du malaise de l’être, réduit comme modèle formel tel un tuyau coudé dans la conscience de son embarras corporel. Ce réalisme distant et légèrement pervers donne à la photographie de portrait un langage de vérité sensible, en retrait de la froideur apparente du traitement de l’image.

Anatoly IVANOV tranche avec son appareil dans cette cruauté luminescente, dans ces clartés de conscience, et cela de manière quasi instinctive. Chaque photographie va agir comme la lettre d’un alphabet inconnu dans les affres de notre être. Ce sentiment confus pourrait bien annoncer un nouveau vocabulaire imagé pour une nouvelle génération, russe ou non, qui a épuisé les registres langagiers du réel.

Ces lumières qui dialoguent avec les prismes du vrai sont le véritable produit d’une réceptivité magmatique, comme si notre réalité s’engloutissait dans une lumière en fusion, que seul l’appareil photographique de l’artiste sera en mesure de refroidir. L’image comme une lave durcie, comme un visage trop tendu, couve et travestit sous sa surface visible la masse chaude d’une réalité mouvante, inaudible... impossible. On devine à travers ces failles la présence incandescente du monde chaotique d’où elle surgit, mais aussi une réalité autre... cette fois ci possible.

/ Frédéric BOUGLÉ / Critique d’art indépendant et directeur du Centre d’art contemporain du Creux de l’enfer à Thiers / FRANCE / 1998-01

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